Fusion des collectivités territoriales et économies d’échelle
Constat : la fusion des collectivités locales n’entraîne pas systématiquement des économies d’échelles1
Au cours des 50 dernières années, de nombreux pays, notamment européens, ont été le théâtre d’une vague importante de fusions de municipalités, souvent motivée par la recherche d’économies d’échelle. La motivation principale était donc économique : réduire les coûts en réalisant des économies d’échelle.
Ces réformes ont redessiné la carte des collectivités territoriales, avec la fusion de petites unités pour en former de plus grandes. Parmi les démocraties industrialisées, cette tendance a affecté tous les types d’Etats – des fédérations décentralisées aux systèmes des pays unitaires régionalisés – et des pays de toutes tailles.
Pour autant, au regard des études théoriques et recherches empiriques réalisées, il s’avère que ces réformes territoriales n’ont pas permis des économies d’échelle. Ainsi, les études réalisées démontrent que les économies potentielles dans les coûts administratifs que permettraient les fusions de collectivités sont susceptibles d’être compensées par des effets contraires dans d’autres domaines.
De plus, l’évaluation empirique des économies d’échelle présumées est complexe car souvent été entachées par le fait que la fusion de municipalité ne s’opèrent jamais par hasard et par conséquent chaque fusion a ses caractéristiques propres, ce qui créé un risque de de partialité. En effet, dans la plupart des cas, le choix de fusion des collectivités territoriales est décidé par les gouvernements centraux ou par les dirigeants des municipalités eux-mêmes. Dans les deux cas, les caractéristiques des unités fusionnées peuvent différer, ce qui complique l’évaluation.
De fait, on peut s’interroger sur la raison d’être d’un mouvement mondial de fusion qui a restructuré le paysage institutionnel locale sur presque tous les continents, dont les objectifs des initiateurs étaient, entre autres, le renforcement tant de la démocratie que des capacités des gouvernements locaux.
Ainsi, les économies d’échelle ne sont que l’une des conséquences les plus probables de l’augmentation d’une juridiction mais rien n’est moins sûr. Ces avantages peuvent être compensés par la perte d’effets qui favorisent les petites unités – une plus grande facilité de surveillance locale, des mécanismes de reddition de comptes plus efficaces ou une plus grande concurrence de type Tiebout pour les électeurs mobiles et le capital (proximité des services).
Dans le même temps, les économies réalisées grâce aux économies d’échelle dépendront de la taille initiale et postérieure à la fusion des unités et varieront également selon les types de services publics fournis, qui ont des fonctions et des coûts différents. Les avantages nets sont donc difficiles à déterminer.
Enfin, la taille des territoires est déterminée par une variété de facteurs qui affectent également le coût des services publics qu’il propose. Par ailleurs, les sous-cultures régionales et les histoires politiques locales vont influencer à la fois la taille de la juridiction mais aussi les niveaux de corruption et d’efficacité bureaucratique. De fait, il n’existe pas une relation générale entre la taille de la juridiction et les dépenses d’un service public.
L’exemple du Danemark :
Le Danemark a été l’objet en 2007 d’une réforme territoriale importante. À cette date, 239 municipalités – essentiellement toutes celles qui comptaient moins de 20 000 habitants – ont été regroupées pour former 66 nouvelles unités. 32 municipalités supplémentaires ont été laissées intactes (Mouritzen 2010).
Par ailleurs, la réforme territoriale danoise de 2007 comportait deux éléments principaux. Le premier était une réorganisation des fonctions à tous les échelons : évaluation de l’impôt sur le revenu, services pour handicapés, réadaptation, promotion de la santé, éducation primaire pour les enfants ayant des besoins spéciaux, protection de l’environnement et routes régionales.
Pour plusieurs raisons, la réforme territoriale danoise s’est avérée particulièrement bien adaptée pour tester les effets de l’augmentation de la taille de la juridiction car les municipalités danoises jouent un rôle important dans la gestion des écoles, des garderies, des infrastructures, de la réglementation environnementale, des dépenses sociales et de la culture.
Les résultats de l’analyse de cette réforme territoriale démontrent que les économies de coûts réalisées dans certaines régions du pays ont été compensées par une détérioration dans d’autres, tandis que pour la plupart des services publics locaux concernés, la taille de la juridiction n’avait aucune importance.
Ainsi, ses fusions municipales opérées au Danemark n’ont pas entrainé une diminution des coûts de mise en œuvre des services publics tels que les écoles, les routes et les infrastructures. Aucun effet clair et systématique des fusions n’a pu être trouvé. Comme précisé dans l’étude de Blom-Hansen, Houlberg et Serritzlew (2014), les coûts administratifs ont certes diminué ainsi que les dépenses d’entretien routier par kilomètre de route dans les unités fusionnées, bien qu’il soit impossible d’affirmer que ces économies ont été gage d’efficacité des services concernés.
Cependant, les économies d’échelle dans l’administration et dans l’entretien des routes ont été compensées par une augmentation des frais de gestion/mise en œuvre des programmes/projets locaux. Dans la plupart des politiques publiques – les soins aux aînés, les écoles, les garderies et les enfants ayant des besoins spéciaux – la taille de la juridiction n’a aucun impact sur les coûts. Ainsi, il est possible d’affirmer qu’il n’y pas de taille optimale de juridiction (Dahl et Tufte 1973, Treisman2007).
Taille de juridiction locale: théories et enquêtes empiriques
L’échelle optimale des juridictions des collectivités territoriales – ou des juridictions gouvernementales en général – a été un sujet de débat depuis l’époque de Platon. Toutefois, il convient de souligner que, sans connaître la combinaison particulière des compétences assignées aux collectivités territoriales et des moyens notamment technologiques dont elles disposent, il est impossible de prédire si, dans l’ensemble, l’élargissement des municipalités aura des effets positifs ou négatifs.
Ainsi, dans le secteur privé et le secteur public, les rendements d’échelle augmenteraient pour deux raisons principales (Boyne, 1995; 47-70). Premièrement, il existe des coûts fixes associés à la fourniture de divers types de service public, de sorte que le coût marginal diminuera avec la production, au moins jusqu’à un certain point. Certains biens publics ont des éléments de non-concurrence dans la consommation, de sorte que le coût marginal est nul. Deuxièmement, l’augmentation de l’échelle des services rend possible une division du travail plus précise, ce qui entraîne les avantages associés de la spécialisation.
Cependant, au-dessus d’un certain niveau, de tels avantages de plus grande taille sont compensés par des problèmes de communication et de contrôle. En cas de croissance excessive, l’information doit être transmise par le biais de plus en plus d’intermédiaires (couches managériales). De fait, les grands processus de production souffrent souvent de congestion bureaucratique (Williamson 1967). En conséquence, les processus de production présentent normalement des rendements d’échelle croissants, puis constants et finalement décroissants.
En résumé, même en laissant de côté l’argument d’Oates (1972) selon lequel les économies de marché ne tiennent pas compte de la disponibilité des services, l’existence d’économies d’échelle n’implique pas de prescriptions directes et universelles pour les systèmes de collectivités territoriales, sauf peut-être certains prestataires de services à but unique. Pour les municipalités – ou d’autres entités polyvalentes -, il n’y a pas d’argument permettant d’assurer qu’une plus grande taille est génératrice d’une baisse des coûts.
Un deuxième argument en faveur des fusions est que les grandes juridictions peuvent être en mesure de saisir non seulement les économies d’échelle mais aussi les économies de gamme. Il peut être plus efficace de produire certains services connexes – par exemple, l’assainissement et le recyclage de l’eau, cf. Dollery et Fleming (2006) – conjointement que de les produire séparément.
Toutefois, la relation entre les économies d’échelle et la portée est loin d’être claire. Les services peuvent se compléter les uns les autres ou être en conflits. Ils peuvent aussi ne pas être apparentés (Dollery et Fleming 2006). De fait, pour cette même raison, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’une augmentation de la taille entraine systématiquement une réduction des coûts.
1 Article « Jurisdiction Size and Local Government Policy Expenditure: Assessing the Effect of Municipal Amalgamation », American Political Science Association, 2016