Autonomie et gouvernance locale en Europe :
aspects clés et outils du Conseil de l’Europe
L’autonomie locale est devenue une valeur commune fondamentale en Europe. Elle est un élément essentiel du tissu démocratique des sociétés modernes et permet d’améliorer à la fois la qualité de la démocratie, les services publics et l’efficacité de l’action administrative et, donc, finalement, la qualité de vie des citoyens.
L’autonomie locale a en effet pour arguments de son côté l’asymétrie de l’information au bénéfice des autorités locales, la meilleure capacité des autorités locales d’adapter les services aux besoins et spécificités locaux, la meilleure responsabilité devant les citoyens et la meilleure capacité d’associer ces mêmes citoyens dans toutes les étapes de la préparation et de la prise de décision, tout comme de sa mise en œuvre.
Si l’autonomie locale est un concept familier dans la définition de politiques en Europe et au niveau national, il est néanmoins utile de rappeler que celui-ci a été créé et développé au sein du Conseil de l’Europe et que, ceci étant encore plus important, le Conseil de l’Europe reste la seule organisation européenne où les Etats ont convenu de le traiter tel quel. D’autres instances internationales (UE, OCDE, OSCE), si elles en traitent, touchent uniquement à certains aspects s’y rapportant.
Au sein d’un Etat démocratique, le concept d’autonomie locale pourrait être décrit, de façon globale, comme concernant deux séries de relations fondamentales distinctes mais interconnectées : les relations entre l’Etat central et les autorités locales, d’une part, et les relations entre les habitants et les collectivités locales, d’autre part.
La relation entre les instances centrales et locales concerne la répartition des compétences à travers le cadre légal et la structure institutionnelle des collectivités locales et régionales, mais aussi au moyen de l’attribution des capacités financières et fiscales et des allocations spécifiques, y compris notamment des services publics spécifiques.
Le principe directeur de cette relation est celui de la subsidiarité, qui représente un optimum d’attribution des responsabilités et des ressources et qui permet aux décisions d’être efficacement prises au niveau le plus proche du citoyen – un principe qui, soit dit en passant, a également été développé par le Conseil de l’Europe avant d’être repris par l’Union européenne.
Cette relation trouve son expression juridique dans la Charte européenne de l’autonomie locale, le seul instrument juridique international dans le domaine, lequel a été ratifié par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
La France l’a ratifié en janvier 2007, s’engageant ainsi à respecter les règles européennes concernant l’autonomie locale en général, et spécialement la très importante relation entre les autorités centrales et celles locales. La Charte ne dispose cependant pas d’un effet direct sur notre territoire.
En ce qui concerne la seconde relation, celle entre les citoyens et les collectivités locales, dont le principe directeur est la bonne gouvernance au niveau local, elle est fortement conditionnée par l’envergure, les façons et les moyens de participation à la vie publique aux niveaux local et régional dont disposent les citoyens et la société civile, mais également par le souci des élus et agents publics locaux d’améliorer continuellement la qualité de l’acte administratif et des services offerts à ces mêmes citoyens.
Cette relation trouve son expression dans la Stratégie pour l’innovation et la bonne gouvernance au niveau local adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en 2008. Cette Stratégie se veut un instrument simple et efficace d’amélioration de la qualité de la gouvernance locale par une approche coordonnée de tous les acteurs impliqués.
La Stratégie définit les 12 Principes de la bonne gouvernance au niveau local et créé un mécanisme de mise en œuvre fondé sur trois piliers :
- d’abord, un engagement formel et volontaire aux 12 Principes de la part des collectivités locales et un effort d’améliorer leur performance, liés à une auto – évaluation périodique ;
- ensuite, des programmes d’action préparés et adoptés conjointement par les gouvernements et la ou les associations des pouvoirs locaux nationaux, qui identifient les faiblesses dans la mise en œuvre des 12 Principes et adoptent les mesures à prendre pour y remédier ;
- enfin, un label européen d’excellence en matière de gouvernance (ELOGE) qui reconnaisse l’atteinte d’un certain niveau de qualité dans la gouvernance locale, telle qu’elle est définie par les 12 Principes, et qui est accordé aux collectivités locales par des jurys nationaux.
Ces deux types de relations qui définissent le périmètre de l’autonomie locale, autorités centrales – autorités locales et autorités locales – habitants, et qui trouvent leurs quintessences dans les principes de la subsidiarité et de la bonne gouvernance locale, ne sont pas vraiment nouveaux. Ce qui est nouveau par contre, et on ne peut que s’en réjouir, c’est le fait que les autorités, à la fois centrales et locales, réalisent de plus en plus que seule la coopération peut les aider à s’améliorer.
Face aux exigences légitimes mais croissantes de leurs citoyens, les autorités de la plupart des pays s’ouvrent de plus en plus à l’expérimentation, sont de plus en plus intéressés par les pratiques de succès, et de plus en plus enclines à s’inspirer de celles-ci.
Le Conseil de l’Europe s’efforce de renforcer la coopération sur les questions d’autonomie locale entre gouvernements via le Comité Européen sur la Démocratie et la Gouvernance (CDDG) et entre collectivités territoriales et gouvernements, via le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux et le Centre d’Expertise sur la Réforme de l’Administration Locale (CERAL).
Le Respect de l’article 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale :
L’article 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale sur « la protection des limites territoriales des collectivités locales » précise que « Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet ».
Ce principe pose l’obligation fondamentale d’informer les collectivités concernées de toute proposition visant à modifier leurs limites territoriales, que cette proposition concerne une collectivité locale donnée ou la structure territoriale dans son ensemble.
L’instance décisionnelle, avant toute action définitive, doit recueillir l’avis des collectivités territoriales concernées. En d’autres termes, la modification des limites territoriales ne peut intervenir qu’après avoir sollicité l’avis des autorités – communes et/ou régions – concernées. De cette manière, l’esprit de la Charte – qui exige un partenariat entre le pouvoir central et les collectivités locales basé sur la confiance réciproque et la coopération – est respecté.
Par définition, les dispositions générales de l’article 4, paragraphe 6, s’appliquent aussi au domaine spécifique de la modification des limites territoriales. La référence du paragraphe 6 à « une façon appropriée » doit être vue comme un principe de « rationalité » de la consultation, qui exige à l’évidence que la consultation ait lieu de manière à permettre réellement aux collectivités locales d’exprimer leur opinion et de formuler des propositions. Certes rien ne garantit que les autorités centrales, que la loi autorise à légiférer ou à prendre des décisions politiques, se rangent à leurs avis, mais leur examen avant toute décision finale constitue une exigence intrinsèque.
Deux pays, la Géorgie et la Grèce, ont déclaré ne pas considérer être liés par l’article 5. Parmi les autres États membres, vingt-deux sont en conformité avec l’article 5, neuf le sont en partie et une violation de la Charte a été constatée dans les pays suivants :
- En France, les procédures d’adoption de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral n’ont pas été jugées conformes à la Charte (article 4, paragraphe 6, combiné à l’article 5). Le Congrès a par conséquent recommandé aux autorités françaises d’élaborer une législation définissant les procédures de consultation des représentants des collectivités locales et régionales afin que cette consultation soit effective, c’est-à-dire menée en temps utile et de façon appropriée, pour toutes les questions concernant directement ces collectivités, y compris en matière financière, et a fortiori celles concernant la modification de leurs limites territoriales (article 4, paragraphe 6, article 5 et article 9, paragraphe 6) ;
- En 2010, la Fédération de Russie a été invitée à veiller à ce que les localités ne soient fusionnées qu’après que les assemblées élues concernées ont été dûment consultées.
Les violations de l’article 5 sont dues essentiellement au fait que les pouvoirs nationaux prennent les décisions de manière exclusive et les imposent aux autorités de niveaux inférieurs. Les décideurs au niveau national craignent souvent que la consultation avec les collectivités locales concernées préalablement à une fusion ou une consolidation facilite la formation d’alliances et de blocus d’opposition qui compromettraient leurs stratégies de réforme. Ils redoutent aussi qu’un vaste débat public modifie radicalement voire dénature leurs plans de réforme initiaux.
Du fait qu’à la fois les réformes territoriales et les débats publics nécessitent beaucoup de temps, les réformateurs craignent que le processus ne s’essouffle s’ils engagent des discussions publiques difficiles et des procédures de consultation complexes. Enfin, de longs débats publics aboutissent parfois à des litiges dont les dénouements sont imprévisibles. Les gouvernements évitent aussi la consultation avec des collectivités locales spécifiques et préfèrent consulter les associations nationales de pouvoirs locaux ou les chambres hautes, du fait que la loyauté à son parti et les considérations politiques majoritaires peuvent l’emporter sur l’opposition, au nom d’intérêts locaux, aux réformes territoriales.
Le Congrès recommande d’adopter une législation définissant des procédures qui garantiront une consultation appropriée, en temps utile, de chaque collectivité locale concernée. De telles procédures inclusives tirent parti de l’expérience locale et peuvent accroître radicalement la faisabilité et l’adhésion publique aux plans de réformes.
Le Respect de l’article 10 de la Charte européenne de l’autonomie locale :
Article 10 – Le droit d’association des collectivités locales
« 1. Les collectivités locales ont le droit, dans l’exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s’associer avec d’autres collectivités locales pour la réalisation de tâches d’intérêt commun.
2. Le droit des collectivités locales d’adhérer à une association pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs et celui d’adhérer à une association internationale de collectivités locales doivent être reconnus dans chaque État.
3. Les collectivités locales peuvent, dans des conditions éventuellement prévues par la loi, coopérer avec les collectivités d’autres États. »
L’article 10 concerne les associations de collectivités locales. Tandis que le premier paragraphe traite de la coopération sur une base fonctionnelle afin de garantir une plus grande efficacité, le deuxième paragraphe concerne les associations dont les objectifs sont plus généraux et tendent normalement à représenter les collectivités locales. Enfin, le troisième paragraphe aborde la coopération internationale des collectivités locales.
Le Congrès a recommandé à la Bosnie-Herzégovine de renforcer et promouvoir la coopération intercommunale et la prestation conjointe de certains services publics, en particulier de part et d’autre de la ligne de partage inter-entités, afin de garantir que toutes les communes soient en mesure d’exercer leurs compétences malgré la grande fragmentation du territoire de la Bosnie-Herzégovine, et de soutenir activement les initiatives actuelles dans ce sens.
Le Congrès a recommandé à la Croatie de réexaminer sa législation sur les fusions volontaires d’unités d’autonomie locale dans le but de rendre les fusions volontaires plus attractives en diffusant des informations sur les avantages que présentent les fusions pour les collectivités, y compris leurs services publics, ou en envisageant de mettre en œuvre d’autres mesures incitatives.
Concernant la coopération intercommunale en vue de l’exercice des responsabilités, le Congrès considère que la systématisation et la modernisation du cadre juridique, ainsi que les mesures d’incitation à la coopération, les mécanismes d’instauration de la confiance et l’aide de l’État pourraient réduire assez aisément les insuffisances observées dans certains pays.
La situation est plus complexe pour ce qui concerne la coopération interrégionale, qui touche parfois à des questions délicates de relations internationales. La législation nationale pertinente, cependant, peut assurément incorporer les principes et les dispositions relatifs à la coopération internationale (y compris transfrontalière) adoptés dans les traités internationaux et le droit international.